Homélie pour le 28e Dimanche (B)

Cette rencontre entre Jésus et l’homme riche est quand même paradoxale, car malgré l’échec de la rencontre, le contexte est des plus amical. Une chaleur indéniable s’en dégage. À noter que cet homme est le seul personnage des évangiles à qui Jésus offre de le suivre et qui refuse. 

Il représente en quelque sorte tous ceux et celles pour qui la foi en Dieu porte la marque d’un certain légalisme, de la lourdeur de la bonne conscience, où Dieu et la vie éternelle sont à classer au rayon des choses que l’on possède ou que l’on cherche à posséder par ses propres forces. La question de cet homme à Jésus est très révélatrice en ce sens : «Bon Maître, que dois-je faire pour AVOIR la vie éternelle». 

Mais la réponse de Jésus déstabilise complètement cet homme si bien intentionné. Car ce qui lui est demandé, c’est de se détacher de ses fausses sécurités, ses réalisations, ses possessions les plus chères, qui lui servent de points d’ancrage dans l’existence et par lesquelles il se définit, se donnant ainsi l’impression d’être le seul maître de sa vie. Jésus lui révèle que la vie éternelle n’est pas une récompense pour demain, elle est la vie avec lui, tout de suite et pour toujours, et qu’elle doit être reçue comme un don, et non pas comme une récompense. 

Bien sûr, cet homme était sans doute très dévot, généreux et compatissant. D’ailleurs, le regard bienveillant que Jésus pose sur lui nous en dit long sur la qualité de cet homme, et cela en dit long aussi sur le regard que Dieu pose sur chacune de nos vies. Mais l’invitation de Jésus met à nue une faille au cœur de la vie spirituelle de cet homme : contrairement à ce qu’il croit, il n’a pas vraiment remis toute sa vie entre les mains de Dieu. Bien qu’il soit un homme de foi, son Dieu semble enfermé dans des limites dont Jésus lui demande de s’affranchir en le suivant. En fait, l’on voit cet homme se justifier devant Jésus, alors que c’est Jésus qui justifie, qui fait de nous des justes selon le cœur de Dieu.

Mais que serait-il arrivé si cet homme avait accepté l’invitation de Jésus à le suivre? Sans doute aurait-il connu un destin semblable aux autres disciples. Il aurait tout d’abord renoncé à tous ses biens pour ensuite suivre Jésus comme Matthieu, Pierre ou son frère André. Il aurait sillonné les routes de la Palestine. Il aurait connu le dénouement douloureux de cette aventure en étant témoin de la passion de son maître. Il aurait sans doute fui comme tous les autres, pour se retrouver au matin de Pâques, lui aussi illuminé de la joie pascale, comprenant enfin où l’entrainait cette suite du Christ : soit dans la pleine réalisation de sa personne, marquée désormais par cette présence intérieure du Ressuscité.

Quand le psalmiste s’écrie dans le psaume entendu ce dimanche : «Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse», cette attente qui se fait entendre du plus profond de l’Ancien Testament, trouve son plein accomplissement avec la venue du Christ qui deviendra pour tous ceux et celles qui le suivent, ce Maître intérieur qui forme et qui instruit, le visage bien concret de cette Sagesse à laquelle aspirent les hommes et les femmes de l’Ancienne Alliance. Ce que Jésus propose à cet homme riche, c’est un passage : passer de la Loi, des règles et des préceptes de la bonne conscience, à l’amour transfiguré par le Christ, à travers lequel se réalise l’accomplissement parfait de la Loi.

Maintenant, au-delà des mots compliqués et abstraits qui nous servent parfois en Église pour décrire ce mystère insondable de notre appel en tant que disciples, il y a la réalité toute simple de ceux et celles qui en témoignent par une vie chrétienne bien assumée dans les défis de chaque jour. De véritables pages d’évangiles qui s’écrivent sous nos yeux à travers la vie de femmes et d’hommes dont la confiance en Dieu ne peut que nous émouvoir, et où le «viens et suis-moi» de Jésus, semble enfin avoir trouvé réponse.

Un jour, une femme que je ne connaissais pas m’avait écrit et m’avait tout simplement demandé des conseils via l’internet pour sa vie de foi, un peu à la manière de cet homme riche qui se présente à Jésus. Elle m’avait parlé de sa vie quotidienne, de ses soucis pour son époux malade. Elle m’a laissé un témoignage dont je me souviendrai toujours, elle qui avait mis toute sa confiance en Dieu, dans le contexte d’une fin de vie difficile, mais empreinte de beaucoup d’amour. Elle concluait son message en me confiant le plus intime de son vécu, sorte de profession de foi avec ses propres mots. Voici ce qu’elle m’a écrit :

«Dieu me vient en aide par la foi : Jésus toujours à mes côtés pour me soutenir et me redonner courage quand j’ai envie de baisser les bras. 

Dieu me vient en aide par la charité : c’est elle qui me permet de servir et accompagner la fin de vie de mon époux de 86 ans, atteint de la maladie d’Alzheimer, avec amour, après plus de 56 ans de vie commune.

Enfin, écrivait-elle, Dieu me vient en aide par l’espérance : elle me fait espérer l’accueil miséricordieux de ce Dieu plein d’amour auquel je crois, et où moi et mon époux nous serons définitivement réunis dans la paix.»

Dans le témoignage de cette chrétienne anonyme, nous voyons comment une vie marquée par le Christ peut nous rendre capables d’assumer toutes les conditions d’une vie, tous les dépouillements, toutes les épreuves, dans la confiance et l’abandon. L’homme riche voulait des recettes pour son salut, mais Jésus lui propose de tout risquer pour le Royaume de Dieu. 

Or, nous savons qu’il y a des gens prêts à tout risquer pour posséder la richesse, la gloire ou le pouvoir. Certains sont même prêts à le faire au péril de leur vie. Nous pourrions admirer ici un certain sens de l’aventure et du courage chez ces personnes si nous ne savions quelles tragédies sous-tendent souvent leur existence. Jésus lui nous offre une autre voie, un autre trésor pour vivre une vie pleine de sens. C’est le trésor de la Sagesse qui est venu vivre parmi nous, se révélant à nous comme le Verbe incarné, et dont le nom est Jésus-Christ. 

Frères et sœurs, c’est là la proposition qui nous est faite dans l’Évangile aujourd’hui et c’est là le seul motif pour expliquer ce qui nous rassemble de dimanche en dimanche.

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain.

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