Retour de voyage – Sur les pas d’Etty Hillesum (4)

Entrée du camp d'Auschwitz

Entrée du camp d’Auschwitz

Nous prenons l’autobus de 8h30 pour Oświęcim. Pourtant, j’avais bien demandé d’aller à Auschwitz, mais sur place notre guide nous expliquera que les armées allemandes, lors de l’invasion de la Pologne, avaient commencé à donner des noms allemands aux différents lieux qu’ils occupaient, et c’était le cas pour ce petit village d’ Oświęcim, aujourd’hui une ville de 43, 000 habitants.

À l’époque, les Allemands qui cherchaient à établir leurs camps d’extermination en des lieux isolés, loin des populations locales, avaient fait évacuer les maisons proches de l’enceinte du camp. Ils feront ainsi à trois reprises, repoussant au loin la population polonaise afin qu’elle ignore ce qui s’y passait. Mais cette fumée des fours crématoires qui fonctionnent souvent jour et nuit, l’odeur de cheveux et de chair brûlée, ne réussiront pas à tromper la population locale.

Si ce camp était aussi isolé, il n’en est plus le cas aujourd’hui et le visiteur est donc surpris de constater que l’on annonce le musée d’Auschwitz à 500 mètres, alors que l’on est au milieu d’une ville avec beaucoup de circulation, des restaurants et des commerces. J’espère ne pas être déçu de ma visite, mais déjà une certaine appréhension s’empare de moi au moment d’arriver enconstatant que nous sommes en pleine ville.

Auschwitz s’annonce tout d’abord comme un musée, et c’est là la seconde surprise. Ce qui reste des camps de la mort en Europe se nomme désormais « musée ». Il en sera de même pour le camp de Westerbork. Le stationnement compte sans doute une vingtaine d’autobus nolisés lorsque nous arrivons et les visiteurs forment une longue file pour entrer « au musée ». Autre surprise, cela ne coûte rien, et j’apprécie. Non pas à cause du fait d’économiser des sous, mais n’y aurait-il pas une inconséquence à vouloir faire payer la visite d’un lieu qui se veut un mémorial à toutes les victimes d’Auschwitz, et elles se comptent par million.

Nous nous procurons des écouteurs et l’on nous présente un court film sur l’histoire du camp d’Auschwitz. Ce film n’insiste pas trop sur les scènes d’horreur, contrairement à un film comme « Nuits et brouillard » d’Alain Resnais. Nous ressortons après 15 minutes et là nous suivons un guide, elle se nomme Edita, une Polonaise de 40 ans environ, qui travaille aux archives d’Auschwitz et qui s’improvise guide cette journée-là à cause d’un manque de personnel. C’est note chance, car elle est très au fait de l’histoire du camp et a un visage empreint d’une grande humanité. Je sens bien qu’elle ne fait pas que travailler au musée d’Auschwitz, mais qu’il s’agit aussi pour elle d’une mission.

Notre groupe est composé d’une vingtaine de visiteurs et nous passerons deux heures et demie avec elle, entrant progressivement dans l’horreur de ce lieu, qui semble calme en cette journée grise d’octobre. Nous visiterons les deux parties du musée d’Auschwitz, soit le camp d’Auschwitz et le camp d’Auschwitz-Birkenau. Trois kilomètres séparent les deux camps. Il faudra prendre l’autobus pour aller de l’un à l’autre.

"Le travail vous rendra libre"

« Le travail vous rendra libre »

Pour une histoire détaillée de l’établissement de ces deux camps, cliquez ici.

Une rencontre inoubliable

En lien avec cette session que je dois donner sur Etty Hillesum, j’ai rencontré ce matin un survivant de l’holocauste. Un homme qui a connu les camps d’Auschwitz et de Bergen-Belsen. Un homme de 80 ans, un juif roumain, dont toute la famille a été décimée. Nous nous étions donné rendez-vous dans un centre commercial, sans nous être jamais rencontrés auparavant. Il m’a tout simplement été recommandé par le Centre commémoratif de l’Holocauste de Montréal, afin de donner un conférence dans le cadre de la session que je dois donner.

Quelle rencontre! Immédiatement, nous nous sommes liés d’amité. Il m’a parlé pendant une heure et demie, sans interruption, pleurant parfois devant l’intensité des souvenirs. Très vite un climat de confiance et d’intimité s’est tissé entre nous, nous prenant parfois les mains en signe de soutien, une façon de porter ensemble la douleur qu’il me partageait. Je me suis retrouvé avec un frère en humanité qui ne comprend toujours pas pourquoi son peuple est sans cesse persécuté et je ne comprends pas moi non plus, même si je connais les tenants et aboutissants de cette tragique histoire des juifs et des chrétiens.

Comme prêtre catholique, je me sentais mal à l’aise à écouter les humiliations subies par cet homme de la part de bons catholiques du Québec, par exemple, dans les années cinquante, le refus d’une religieuse de le soigner parce qu’il était Juif, ou encore un hôtel des Laurentides affichant « Pas de chiens, pas de Juifs ». Ce n’est pas que je me sentais coupable de ces faits en l’écoutant, mais j’éprouvais de la honte devant ce qu’il avait dû subir dans sa vie de la part de personnes portant le nom de « chrétien », et ce, même au Canada.

Pourtant, rien dans son récit n’était porteur de rancœur ou de reproches. Il voulait surtout se dire et tenter encore une fois de comprendre l’incompréhensible. En écoutant son récit, je touchais surtout sa peine et je pleurais avec lui. Il m’avoua qu’il n’avait jamais voulu raconter son histoire à ses enfants afin de ne pas mettre la haine des Allemands dans leur coeur.

Ce matin, j’ai rencontré un homme bon, un homme qui porte une grande blessure et pour qui il faut prier sans doute, mais peut-être est-ce nous qui avons surtout besoin de sa prière.