Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 10,38-42.
En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut.
Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.
Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. »
Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses.
Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »
COMMENTAIRE
On pourrait intituler cet évangile : « Quand Dieu nous visite ». La Bible regorge d’histoires où Dieu se manifeste et se fait connaître. Parfois, c’est de manière éclatante, comme lorsqu’il se révèle à Moïse sur le Mont Sinaï, mais habituellement Dieu se fait voir à la manière d’un peintre impressionniste, avec des touches légères, tel le souffle d’une brise par un beau soir d’été.
Tout au long de la Bible Dieu se laisse deviner, pressentir, sans jamais s’imposer, et c’est ainsi qu’il se manifeste encore à nous aujourd’hui. Bien sûr, nous sommes ici dans l’ordre du subjectif et de l’invisible, mais quand une personne fait cette expérience du divin, d’une proximité avec l’Absolu, cela provoque une expérience semblable à celle des deux pèlerins d’Emmaüs qui s’exclamèrent après la disparition de Jésus ressuscité sous leurs yeux : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant alors qu’il nous expliquait les Écritures. » Cette expérience de Dieu est de l’ordre d’une paix, d’un amour, d’un ravissement, d’une joie profonde.
Vous qui êtes ici dans cette église, vous savez ce dont je veux parler. Peut-être ne pouvez-vous pas nommer un moment précis de votre vie de foi où une telle rencontre s’est vécue, mais Dieu vous a sûrement rejoint un jour sur la route, vous avez entendu sa voix, et vous avez dit oui. Et c’est ce oui qui nous amène ici de dimanche en dimanche, alors que nous célébrons la résurrection du Christ et notre foi en lui !
L’évangile aujourd’hui nous invite à nous interroger quant à la manière dont nous accueillons Jésus dans nos vies. L’évangéliste Luc nous raconte que Jésus s’est arrêté dans la maison de Marthe, alors que sa sœur Marie y est présente. Cette dernière se tient assise au pied de Jésus. C’est la position traditionnelle du disciple devant son maître. Et alors que Jésus fait la louange de Marie, il reproche à Marthe de s’inquiéter et de s’agiter pour bien des choses.
Pourtant on ne peut accuser Marthe d’indifférence à la présence de Jésus chez elle, bien au contraire. Toutefois, sa fébrilité à bien l’accueillir et à s’assurer que tout soit prêt pour le repas, semble lui faire oublier l’essentiel, soit celui qui lui rend visite, Jésus lui-même. « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe, dit le Seigneur. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. » (Ap. 3, 20) À noter ici que c’est Jésus qui offre la nourriture et non l’inverse.
Mais pour bien comprendre la portée de l’évangile d’aujourd’hui, il nous faut revenir à celui de dimanche dernier qui forme un tout avec celui d’aujourd’hui.
Rappelez-vous : Un docteur de la Loi demande à Jésus ce qu’il faut faire pour avoir en héritage la vie éternelle. Jésus lui demande ce qui est écrit dans la Loi. L’autre répond : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. »
Après avoir entendu Jésus approuver le légiste qui fait l’éloge des deux grands commandements, l’amour de Dieu et l’amour du prochain, l’évangéliste Luc nous présente deux récits afin d’appuyer l’enseignement de Jésus. Tout d’abord la parabole du bon Samaritain, qui souligne l’importance de l’amour du prochain, et l’épisode de la venue de Jésus chez Marthe, afin de souligner la primauté de l’amour de Dieu qui se manifeste par l’écoute de Jésus, lui le Verbe de vie.
Deux commandements égaux, mais un des deux a préséance sur l’autre, et ce que l’évangéliste Luc veut faire comprendre à ses lecteurs, c’est que se tenir au pied de Jésus, c’est se mettre à l’écoute de Dieu, c’est accueillir le Verbe de vie.
La remarque de Jésus qui semble valoriser l’attitude de Marie quand il dit d’elle qu’elle a choisi la meilleure part, n’a pour but que de mettre en évidence ce premier commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence. »
Et lorsque Jésus dit à Marthe qu’elle s’inquiète pour bien peu de chose, sa remarque est tout empreinte d’affection à son endroit, puisqu’il répète à deux reprises son prénom, ce qui est une grande marque d’affection dans la tradition juive. L’on pourrait reformuler ce qu’il lui dit de la manière suivante : « Marthe, Marthe, j’aurais tant de choses à te dire. Viens t’asseoir près de moi et cesse de te préoccuper, car je t’ai réservé la meilleure part. » Comment ne pas évoquer ici les paroles de Jésus lors de la tentation au désert : « L’homme ne vit pas seulement que de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
L’enjeu qui est proposé par l’évangile de ce dimanche, c’est l’accueil de Dieu dans nos vies. Le service est quelque chose de fondamental pour nous chrétiens et de chrétiennes, mais ce service ne peut prendre tout son sens que s’il est porté par une certaine intimité avec Dieu, où nous nous mettons sans cesse à son écoute, n’hésitant pas à lui soumettre tout ce qui nous habite, n’hésitant pas à lui dire : « Et maintenant Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » C’est sans doute l’attitude qu’adopte Marie dans l’évangile, et c’est pourquoi Jésus n’hésite pas à dire d’elle qu’elle a choisi la meilleure part.
Alors comment nous mettrons-nous à l’écoute de Dieu aujourd’hui ? Comment nous ferons-nous plus proches de lui ?
Tout ce qui nous met en présence de Dieu, que ce soit la lecture de la Bible, la prière, l’oraison, l’adoration, le chapelet, la liturgie, la contemplation des merveilles de Dieu dans sa création, ce sont tous là des moyens afin de nous mettre à l’écoute de Dieu et ainsi l’accueillir quand il nous visite. Dans les psaumes, on proclame que les merveilles de la création révèlent la gloire de Dieu , elles éveillent en nous comme un chant de l’âme, un grand merci pour tant de beauté. Et il en est de même avec les arts, la musique, les voix humaines. Les créatures elles-mêmes sont missionnaires et elles nous aident à voir la présence de Dieu au cœur de sa création et nous font l’aimer et l’adorer.
Frères et sœurs, au cours de cet été, si nous prenons le temps nous arrêter pour prier et rendre grâce à Dieu, nous entendrons peut-être le souffle d’une voix nous dire à l’oreille : « Marthe, Marthe, viens t’asseoir près de moi, j’ai bien des choses à te dire. » Il nous suffira alors de répondre : « Parle Seigneur, ton serviteur écoute. » Et nous aurons alors choisi la meilleure part !
C’est la grâce que je nous souhaite en cette belle saison de l’été.
Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs.
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« Bon sang, mais c’est bien sûr! »
Le truc pour repérer un commentaire qui fait mouche, c’est ce sentiment de l’évidence et la joie qu’on éprouve à sa lecture.
Bingo! C’est exactement ce que j’éprouve à la lecture de votre homélie.
Un commentaire s’impose parfois comme une évidence, il explique quelque chose que l’on sent confusément en soi et que l’on découvre par la grâce d’un autre qui a su poser une pensée articulée avec des mots clairs. Il sonne juste au coeur, il résonne dans cet endroit secret en nous qui détecte en un instant ce qui est juste et ce qui ne l’est pas.
Cet évangile tant commenté trouve ici enfin une vision qui unit au lieu d’opposer, qui trouve l’unité de l’enseignement de Jésus.
On a trop longtemps opposé la contemplation et l’action, puis gêné de cette opposition, on tente d’adoucir l’interprétation, d’expliquer que Marthe n’est pas rabrouée, pas critiquée, que l’action est utile bien sûr…. mais tout cela sans grande clarté ni sens de l’unité, sans percer l’essentiel. Au final, l’impression de ce qui oppose reste plus fort que ce qui unit parce que les commentateurs ne sont pas convaincus de ce qu’ils avancent ou ne savent pas synthétiser leur regard… En bref, se promènent encore dans la forêt sans en trouver le centre.
Ici, on retrouve le centre. Ici, on réunifie la Parole, l’enseignement devient fluide, rien de contradictoire, la dualité disparaît, tout s’unit pour concourir à une vision de l’essentiel obtenue par une lecture purement interne qui se fonde sur le commandement suprême d’où découle tout l’enseignement de Jésus et qui se décline en autant de paraboles.
C’est une superbe leçon de lecture et aussi un soulagement épatant.
Merci à vous!
Bonjour Marie. Merci beaucoup pour votre commentaire fort élogieux. Tellement, que je me suis dit : »Mais qu’ai-je écrit au juste? J’ai dû relire l’homélie. Je persiste et je signe! Passez un bel été à l’ombre du Seigneur.