NOUS PRÊCHONS UN MESSIE CRUCIFIÉ
« Nous prêchons un Messie crucifié! » nous dit saint Paul. Pourquoi est-ce si important de l’affirmer, sinon que le combat de Jésus-Christ nous entraîne dans le sien. Alors que les religions du monde se représentent toujours la divinité comme une toute-puissance invincible, la révélation chrétienne ouvre une brèche dans notre conception de Dieu. Sans nier sa toute-puissance, voilà qu’en Jésus-Christ Dieu se tient devant nous dans tout ce que peut comporter notre fragilité humaine.
Jésus va naître dans une étable comme un pauvre, il va connaître la faim et la soif, la souffrance et l’abandon, le rejet et le mépris. Il mourra assassiner, exclu de la cité, crucifié avec des bandits. C’est avec toute cette réalité humaine, portant toujours les plaies vives de sa passion, que le Seigneur Jésus-Christ se tiendra debout et victorieux au matin de Pâques.
Comment comprendre ce que Paul appelle aussi la « folie de la croix », si ce n’est qu’en Jésus nous contemplons le visage d’un Dieu fou d’amour, qui déjoue toutes nos représentations les plus enfantines de la divinité pour nous dévoiler un Dieu qui est Amour, et qui n’est que cela. En Jésus-Christ nous faisons l’expérience que l’amour est véritablement accompli que lorsqu’il va jusqu’au bout de lui-même. C’est cet amour qui s’est manifesté à nos yeux d’hommes afin d’assumer une vie humaine sans compter, et ainsi ouvrir en nous des sources secrètes que seul Jésus pouvait libérer et ainsi nous donner accès à notre pleine stature d’hommes et de femmes créés à l’image de Dieu.
« Nous prêchons un Messie crucifié ! » Un Messie qui est Dieu et qui se fait homme pour nous sauver, pour nous redonner notre dignité perdue. Qui étend les bras vers tous ceux et celles qui ont soif de bonheur, et qui vient à nous revêtant les habits du mendiant quémandant notre amour. Il se fait pauvre avec les pauvres que nous sommes, afin que nous devenions riches avec lui. Mais pour cela, il nous faut nous tenir tout près de sa croix.
Mgr Pierre Claverie, dominicain et martyr, qui était devenu évêque du diocèse d’Oran expliquait, deux mois avant son assassinat, le pourquoi de son refus obstiné de quitter une Algérie où sa vie était sans cesse menacée dans un contexte de guerre qui a fait plus de deux-cent-mille morts. Comme les moines de Tibhirine, Mgr Claverie ne voulait pas abandonner ses amis algériens en cette terre d’Islam.
« Nous sommes là-bas, disait-il, à cause de ce Messie crucifié. À cause de rien d’autre et de personne d’autre ! Nous n’avons aucun intérêt à sauver, aucune influence à maintenir. Nous ne sommes pas poussés par quelque perversion masochiste. Nous n’avons aucun pouvoir, mais nous sommes là comme au chevet d’un ami, d’un frère malade en silence, en lui serrant la main, en lui tenant le front. À cause de Jésus, parce que c’est lui qui souffre là, dans cette violence qui n’épargne personne, crucifié à nouveau dans la chair de milliers d’innocents.
Comme Marie, sa mère et saint Jean, nous sommes là au pied de la Croix où Jésus meurt abandonné des siens et raillé par la foule. N’est-il pas essentiel pour le chrétien d’être présent dans les lieux de souffrance, dans les lieux de déréliction, d’abandon ? » […] « Où serait l’Église de Jésus-Christ, elle-même Corps du Christ, si elle n’était pas là d’abord? Je crois qu’elle meurt, conclut Pierre Claverie, de n’être pas assez proche de la Croix de son Seigneur. »
Frères et sœurs, la leçon qui se dégage pour nous de la Parole de Dieu en ce dimanche pourrait s’exprimer ainsi : À Temple nouveau, pierres vivantes, cuites au feu de l’Esprit Saint, faisant leur la passion de leur Maître et Seigneur, puisque nous prêchons un Messie crucifié.
fr. Yves Bériault, o.p.
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Saint Paul a bien raison de qualifier la croix de folie, et c’est un euphémisme. Comment l’homme a-t-il pu humilier, martyriser et si cruellement assassiner son Dieu venu lui enseigner à vivre correctement, c’est-à-dire à aimer ? Moi, cela me dépasse; je n’en reviens tout simplement pas.