Homélie pour le 1er Dimanche de l’Avent (C)

Karl Barth, célèbre théologien protestant, disait que le pasteur devait vivre sa vie de foi en tenant la bible dans une main et le journal dans l’autre. Ce conseil vaut pour chacun et chacune de nous, et traduit bien, il me semble, la consigne de Jésus à ses disciples quand il leur dit de veiller et prier en tout temps.

La recommandation de « prier en tout temps », on peut la représenter par cette bible à la main, signe de cette présence de Dieu au cœur de nos vies, de nos actions et de nos préoccupations, même si l’on ne pense pas toujours à Dieu. Est-ce que les personnes qui s’aiment pensent toujours l’une à l’autre ? L’on s’attache à l’être aimé, à ses enfants, à nos amis, sans toujours penser à eux. Néanmoins l’amour est là, il est dynamique, en attente, prêt à répondre. Il devrait en être de même dans notre relation avec Dieu. Il faut savoir être prêt, porter Dieu en soi comme un souffle précieux, comme une prière constante, un peu comme ce coeur qui bat en nous, mais dont on n’est pas toujours conscient.

Quant au « restez éveillés » que demande Jésus, je le comparerais au journal tenu dans l’autre main dont parle Karl Barth. Ce journal représente pour moi le souci du prochain qui s’étend jusqu’aux extrémités de la terre, puisque rien ne nous est étranger en tant que disciples du Christ. « Rester éveillé », c’est non seulement veiller sur soi-même, mais c’est n’être indifférent à aucune douleur, aucune détresse, car toute atteinte à la dignité humaine doit nous blesser. Car si notre cœur devient insensible à la misère, c’est qu’il s’est sclérosé, ou même qu’il s’est arrêté de battre. Il faut alors guérir au plus vite.

Alors, tenez-vous sur vos gardes et restez éveillés, nous dit Jésus, le journal dans une main et la bible dans l’autre, attentifs à cette présence du Fils de l’homme qui vient au cœur de notre monde en crise. Jésus se décrit comme venant à nous au milieu des tempêtes et du fracas des mers, victorieux, puisqu’il est le Seigneur. Et c’est ainsi que Dieu accompli sa promesse de bonheur en son Fils, telle que nous l’annonçait le prophète Jérémie.

Frères et soeurs, ce premier dimanche de l’Avent donne d’emblée le ton pour l’année liturgique qui commence, en nous faisant entendre la parole de Jésus qui nous invite à nous redresser, et à nous tenir debout avec lui, comme des veilleurs, confiants au milieu de cette nuit qui tire à sa fin, et où nous sommes déjà vainqueurs avec le Christ, en dépit des épreuves et des échecs inévitables. 

C’est dans cette dynamique que nous devons entrer, alors que notre espérance est sans cesse mise à l’épreuve par les évènements du monde, par des actions où le frère et la soeur se dressent en ennemi, ce qui vient compliquer singulièrement notre rapport au prochain.

J’ai fait une lecture des plus intéressante au sujet de Christian de Chergé, prieur au monastère de Tibhirine en Algérie, assassiné avec six de ses frères en 1996. Le frère Christian était habité par cette question lancinante au sujet de la place des musulmans dans le plan du salut de Dieu. Un musulman lui avait sauvé la vie alors qu’il faisait son service militaire en Algérie, et cette action avait été déterminante quant à son choix de la vie monastique en Algérie. Il se sentait redevable à ce peuple, et au fil des années, de son monastère qu’il appelait une petite épave cistercienne dans un océan d’islam, il avait appris à connaître des hommes et des femmes autour de lui vraiment habités par l’amour de Dieu et du prochain.

Mais le questionnement vécu par Christian de Chergé peut s’étendre aussi à tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté sur cette terre, quelle que soit leur appartenance religieuse, et nous faire nous demander qu’elle est leur place dans le plan du salut de Dieu? Sont-ils aimés de Dieu? Il est facile de développer de l’antipathie pour ceux et celles qui ne sont pas comme nous, pour les étrangers, ou encore pour ceux que l’on associe aux faits et gestes des terroristes islamistes par exemple, et qui projettent l’ombrage de leur violence et de leur haine sur tous les musulmans. Il y a là un un enjeu majeur pour nous chrétiens et chrétiennes quant à notre manière de nous situer dans le monde.. 

Prenons le cas de personnes qui nous sont chères, des amis, nos enfants par exemple, et qui nous disent ne pas partager notre foi ou ne pas croire en Dieu. Comment les jugeons-nous? Des parents me parlent souvent de leurs enfants. Ils s’inquiètent pour eux et parfois, pour les excuser de ne pas avoir la foi ou de ne pas aller à l’église, ces mêmes parents me disent: « Vous savez, nos enfants ne sont pas mauvais, ils aiment leur famille, ils sont généreux, ils se donnent beaucoup. » Et je les crois, parce que moi aussi je suis témoin de cette réalité, tout comme vous. Alors, vos enfants et vos amis, sont-ils aimés de Dieu? Le sont-ils tout autant que nous?

Le journal dans une main, c’est savoir porter un regard sur le monde comme le ferait Jésus lui-même. N’est-ce pas saint Paul, dans la deuxième lecture, qui fait cette prière en faveur des Thessaloniciens, lorsqu’il dit : « Que le seigneur vous donne entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant. » 

Saint Paul ne s’en tient pas seulement à la charité entre les chrétiens de Thessalonique, mais il étend la notion de charité à tous, à tous les hommes, toutes les femmes sans exception. Et cela est possible parce que Paul a rencontré le Christ ressuscité et sa vie en a été transformée. Une transformation inouïe! Ce pharisien s’est mis à aimer les païens et à vouloir leur bonheur. 

C’est cette présence de l’Esprit du Christ en nous qui nous rend capables de mieux voir le prochain, et de reconnaitre en l’autre la présence de Dieu. Voici un proverbe tibétain qui décrit magnifiquement cette réalité : « Un jour en marchant dans la montagne, j’ai vu un animal. En m’approchant, j’ai vu que c’était un homme. En arrivant près de lui, j’ai vu que c’était mon frère. »  Pour illustrer cette réalité, Christian de Chergé prend l’exemple de François d’Assise et son célèbre Cantique des créatures, où François fait l’éloge de tout ce que Dieu a créé dans l’univers et qui est là pour refléter sa gloire. François d’Assise, dit Christian de Chergé, « il n’a pas cherché à baptiser le soleil et la lune… Il les a accueillis comme porteurs, signes de l’Évangile… Et il les remercie de contribuer à sa conversion. » Et pourtant ce ne sont que des astres!

Nous trouvons la même dynamique dans les psaumes, quand il est dit au psaume 18 : « Les cieux proclament la gloire de Dieu ! » Les créatures elles-mêmes sont missionnaires et elles nous aident à voir la présence de Dieu au cœur de sa création. Et il en serait autrement de l’homme et de la femme créés par Dieu à son image? Ne sont-ils pas porteurs de cette gloire de Dieu eux aussi, quelle que soit leur provenance ou leur religion?

Si nous savons ouvrir les yeux et nos cœurs, nous serons alors capables d’un langage commun, intelligible pour tous, nous unissant les uns aux autres, en dépit de toutes nos différences, nous donnant de reconnaître ces semences d’évangiles partout où elles poussent, sans que l’on sache comment, animés de cette conviction que l’autre, qui qu’il soit et d’où qu’il soit, est un frère, une sœur à découvrir et à aimer.

Ce n’est que sur cette base que nous pourrons prétendre travailler à l’avènement du Royaume, nous tenant parmi les hommes comme des veilleurs et des priants, au nom même de notre foi au Christ.

L’évangile, c’est tout ça et ce n’est que ça !!

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Une Réponse

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